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Pérégrinations mentales d’une prof (de Yoga) en période de rentrée. 

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Le mois d’août n’est pas encore terminé, ma peau est enfin tannée, le gout des vacances commence à s'estomper et déjà tous les regards et angoisses sont braquées sur la rentrée, la reprise, l’emploi du temps, l’organisation, les rendez-vous, les nouvelles activités, les jours qui rétrécissent, le rythme qui s’accélère, les nouveaux élèves, les responsabilités, la communication, les factures, les devoirs, les levés tôt, les soirées fatiguées et les nuits trop courtes pour rêver..



J’ai beau être à mon compte et vivre de ma passion, je n’échappe pas au stress et aux nombreuses injonctions qu’implique le TRAVAIL. Le simple fait de parler de mon activité comme d’un travail est symptôme d’un trop-plein. C’est le détonateur qui relie par une mèche ce qui était une vocation personnelle et devient obligation rémunératrice. C’est l’endroit précis où tout peut basculer et le sens se perdre. Non, je n’enseigne pas le yoga pour payer mes factures, remplir mon frigo ‘gagner ma vie’ et pourtant, c’est aussi devenu ma réalité. C’est pour moi une lutte quotidienne de maintenir l’équilibre et me tenir à ce qui est juste. De respecter les valeurs qui m’ont conduite d’un tapis à l’autre, d’un maître à un autre et m’affirmer prof de. 


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Il est fréquent que je réponde à la fameuse question qui me tue « et toi, tu fais quoi dans la vie ? » par « j’enseigne le yoga ». Et la réaction est  quasiment unanime : « Oh, tu dois être tellement Zen ! » 


Et bien non, pas du tout ! La confusion règne sur la pratique du yoga, qui certes a pour effet secondaire un certain bien-être, un sentiment de détente et un esprit plus aéré. 



Oui, la pratique personnelle offre un espace à Soi. Mais l’enseignement de cette discipline relève d’un tout autre ordre : transmettre le yoga consiste à se mettre au service de l’autre et le plus souvent au service d’un groupe. 


Cela demande d’être attentif aux besoins de chacun, de prendre en compte le climat émotionnel, d’apporter une énergie positive et soutenante. Guider avec précision et bienveillance dans des espaces pas toujours confortable. Accompagner l’autre dans ces retranchements sans forcer ni décourager. Tenir la main des élèves sans qu’il n’y paraisse. Respecter ses limites personnelles et mouvantes tout en encourageant chacun à les repousser. Motiver avec le sourire, démontrer avec aisance sans faire le show. Cultiver l’engouement, le courage et la détermination…


Dans mon cas, je me suis engagée — et mes élèves avec ! — dans une voie plus qu’exigeante : le Yoga Iyengar. Un style intense physiquement et plein de vie dont l’enseignement nécessite une pédagogie riche et structurée. Pas de place au hasard, les phrases sont courtes et claires, répétées encore et encore avec l’intonation juste. Tout est pensé : la position dans l’espace, la pertinence de l’angle de vue lors des démonstrations, l’ordre des postures, mais aussi celui des instructions. Le nombre d’interactions avec chaque élève est minutieusement pesé. Le touché est mesuré, le souffle est placé, et le regard de l’enseignant est partout. 


Je trouve une très grande satisfaction à apprivoiser cette méthode et elle me rassure. Mes premiers pas en tant qu’enseignante avec des méthodes (souvent autodidactes) que je qualifierai aujourd’hui d’hasardeuse m’ont fait vivre de grands moments de désespoir, où je sentais le mental m’envahir, les vrittis* s'agiter, et un état anxieux s’installer. 


Il y a quelques mois, se sont ancrées en moi ces phrases très justes de mon mentor : « 

Lorsque tu débutes comme enseignant — c’est-à-dire les 10 premières années — tu dois veiller à pratiquer 2 heures pour toi pour chaque heure enseignée. C’est la base pour conserver ton équilibre psychique. » Je ris jaune, s’il savait. Cela fait 7 années que je fais complètement l’inverse. Et je le paie. Le burn-out m’a frôlé plus d’une fois et je le vois toucher une grande partie de la « profession ». 


Alors je m’ajuste, je réduis les cours, j’annule des événements, je renonce à l’organisation de retraites — alors que je les adore ! —  je m’autorise des week-ends et vacances, non sans culpabilité. Je ne néglige plus mon suivi psychothérapeutique qui me coûte plus que ce qu’un cours me rapporte. Je laisse des plages vides dans mon agenda et me fais violence pour ne pas les remplir. Je refuse des élèves, des remplacements, des opportunités en luttant pour ne pas succomber à l’appât du gain.

Je donne une place centrale à mon tapis dans mon salon pour qu’il ne me reste plus qu’à m’étaler dessus... Je m’essai à la paresse même si elle n’est pas confortable. 


BKS Iyengar en Utthita Trikonasana
BKS Iyengar en Utthita Trikonasana

Ce que je comprend aujourd’hui après avec trébuché maintes fois, c’est qu’avec le yoga, tout comme en amour romantique, je vis une relation à trois : lui, moi, et le lien qui nous unit. C’est un triangle mouvant, jamais parfaitement équilatéral, toujours en quête d’équilibre. J’aime le yoga, je chéri ce qui ce construit entre nous, et j’essaie de nourrir cette relation avec soin. Je cherche à tirer les ficelles qui me permettre de transmettre au mieux ce qui m’a tant apporté dans cette pratique en multipliant les sources d’inspirations : formations, stage, étude des textes anciens et des visions modernes, mentorat..  et j’aime enseigner. Je me surprend à être capable de plus d’ardeur dans une pratique dédié à la conception d’un atelier à donner que dans la série d’asanas qui me ferais du bien à moi. Cultiver le lien, sans se perdre dedans : c’est un art délicat qui nécessite une vie. 



Enseigner le yoga, pour moi, ce n’est pas un métier au sens classique, ni une énième déclinaison du néolibéralisme déguisée en bien-être. Ce n’est pas non plus une recette magique de “développement personnel” qui promet de fabriquer de meilleurs petits soldats pour le système capitaliste. Non, quitte à être taxée d’utopiste, je souhaite y voir autre chose : une pratique qui libère, qui relie, qui ouvre un espace d’humanité dans un quotidien saturé. Le yoga est une tradition millénaire qui se réinvente sans cesse dans nos vies contemporaines, avec leurs contradictions, leurs crises, leurs urgences, dans un monde où la nature s’épuise et où on tend à nous déracinés de nous-mêmes. Le Yoga nous permet de nous rapprocher de notre nature, comme un retour à ce qui nous traverse et nous entoure. Respirer en conscience, c’est déjà renouer : chaque inspiration nous lie aux arbres avec qui on échange l’oxygène qui nous est vitale. Alors, prenons encore quelques respirations en pleine présence. 


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* Vrittis :  agitation, modification, perturbation. 


Ce sont les pensées perturbatrices et incessantes, les fluctuations du mental dont il est question dans le célèbre aphorisme des Yoga Sūtra de Patanjali : 

— Yoga Chitta Vritti Nirodha — 

Cela peut être traduit ainsi : Le yoga c’est l’arrêt des pensées automatiques, l’arrêt des tourbillons du mental.

 
 
 

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